Samedi 1er décembre

Isaline est une grande sœur patiente et affectueuse. Son petit frère Aymeric est né Mardi. Sabine est rentrée Vendredi après-midi et le foyer bat son plein. Nous sommes mobilisés, trois enfants en quatre ans est déjà un pari, mais avec une petite invalide coincée entre un turbulent et un nourrisson, le contexte nécessite une attention quasi-totale pour les prochaines semaines, et les quatre grands-parents viennent régulièrement porter main forte avec beaucoup d’efficacité et de bienveillance. On acclimate nos oreilles à distinguer les gazouillis de provenances diverses. On n’a pas les yeux partout, mais on est attentifs au moindre son. Cet état de qui-vive caractérisé est éprouvant. D’une manière générale, dans notre organisation, on apprend à clairement distinguer l’essentiel de l’accessoire. Et il est essentiel de vous dire à quel point vos prières et votre soutien depuis le 31 Août nous sont utiles et précieux.

Isaline a gagné en attention et en capacité motrice depuis qu’elle fréquente l’école. Elle se touche le haut de la joue avec le revers de sa main gauche avant chaque tentative d’attrapage, c’est un peu son repère pour viser, et sa base d’envol d’avant-bras. Elle a commencé à apprendre à dire « encore » et « fini » en langage des signes. Elle restitue en ébauches avec ses petits doigts dans un rayon d’action fiché sur son nombril. La réponse met entre 5 et 10 secondes. Faut avouer qu’on interprète plutôt ses gestes, le message n’est pas clair, mais il y a évidemment communication. Elle comprend instantanément, mais la réponse doit sinuer entre méandres et obstacles pour nous parvenir. Ses professeurs lui font faire une foule d’activité d’éveil. Nous cherchons un peu son rythme, parce que quelques éléments physiologiques sont encore sujets à inquiétude, notamment sa capacité à assimiler son alimentation, capacité redevenue récemment aléatoire. Cela nous replonge dans les journées noires de l’hôpital avec une petite que ça désespère de s’étouffer sporadiquement. Ça nous désespère aussi, mais on savait que la remontée de la pente serait accidentée. Les lésions neurologiques généralisées ont leurs secrets.

Sabine et moi la voyons tous les jours; nous ne nous rendons pas forcément compte des changements positifs et des encourageantes transformations. En tant que parents, le foncé l’emporte sur le clair et on noircit facilement le tableau du présent, quand il faudrait se réjouir de façon inconditionnelle pour son futur, mais nous sommes noyés dans le quotidien, et il est plus naturel pour nous de nous remémorer la foule d’obstacles passés plutôt que d’envisager la progression qu’on rêve rassurante et régulière. Mais… Ernest, Isaline et Aymeric ont le droit d’avoir des parents souriants et allants, et une existence heureuse. Cela nous demande beaucoup de force morale; vaille que vaille, on va faire grandir tout ce petit monde et en appeler souvent à la Communion des Saints.

Isaline revoit le neuropédiatre et les gastro-entérologues de l’Hôpital Universitaire de Genève le 14 Décembre. C’est précisément six semaines après son intervention chirurgicale pour placer sa sonde. Si tout va bien et que la muqueuse gastrique qui est un peu sortie de l’incision n’est pas inquiétante, on pourra la remettre dans un bain et la voir gigoter dans l’eau – pourvu qu’on puisse la replonger dans l’eau, elle aime tellement ça !

C’est encore difficile, mais tu es en bonne voie, Isaline chérie.